Uncool Memories #5
Tiens ! Un design passe
Galerie de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine
Du 18 mai au 4 juin 2021
La période que nous traversons révèle deux choses : premièrement, les appareils et les réseaux numériques tiennent aujourd’hui la société. Ils lui permettent de tenir quand il s’agit, en situation d’urgence, de mettre à distance nos sens et nos corps tout en conservant à nos êtres la possibilité de se voir, de se parler, d’œuvrer ou de travailler ensemble. Ils la tiennent aussi d’une autre façon. Ils se sont rendus indispensables, comme maîtres et possesseurs de nos communications, de notre espace et de notre temps, et tous ceux et celles qui en doutaient y ont été précipités, presque chimiquement. Il est alors nécessaire de poursuivre nos efforts à penser cet environnement numérique et à en mesurer ses effets. Et c’est au design, notamment, qu’il revient de réaliser cette tâche, de s’emparer des média techniques et numériques et de prendre à bras le corps la question du temps des machines, qui rythment nos communications et notre manière d’archiver le monde.
Deuxièmement, il est des choses communes, qui sont vitales pour chaque être humain sur notre terre. Un virus tue à travers la planète, et pour la première fois peut-être, l’humanité a cherché à apporter une réponse de manière globale. En quelque sorte, les êtres humains se sont unis face à une adversité qui n’était pas issue de leur rang. Sans doute l’humanité est-elle désormais mûre pour mesurer ce qui est nécessaire à sa propre pérennité, et par là-même se concentrer sur ses propres conditions d’existence : son environnement, son milieu et les êtres vivants ou non sans lesquels il n’est rien. C’est pourquoi, à l’École supérieure d’art et de design d’Orléans, nous mettons aussi l’accent sur un design des communs, non seulement des biens et des entités matérielles, mais aussi des savoirs, des pratiques et des actions.
Design des média, design du temps, design des communs sont trois axes enseignés, étudiés et explorés au sein de l’ÉSAD Orléans. À l’invitation de l’ENSAPVS, l’école propose ici un état des travaux réalisés ou en cours.
DESIGN DES MÉDIA
Le design des média consiste à s’emparer des média techniques (aujourd’hui les appareils numériques et les réseaux) pour en mesurer les effets sur la culture, l’écriture, la lecture, l’image, le son, le corps, les sens, les rapports sociaux etc. Le design des média cherche à agir sur ces effets.
Le parcours “Éditions” du master “design des média” de l’ĖSAD Orléans permet d’expérimenter les nouvelles formes d’éditions, de narrations et de fictions interactives offertes par les technologies numériques : réalité augmentée, dispositifs transmedia interactifs et expériences vidéo-ludiques.
Au-delà du programme de recherche Édition, média, design : expanded publishing, quand les datas deviennent formes, mené par Emmanuel Cyriaque, Sophie Monville et Nicolas Tilly, les projets personnels des étudiants s’attachent à explorer les mutations de l’écriture, de la lecture, de l’édition et de l’image à l’aune de notre environnement numérique.
Ainsi, Manon Houille réinvente la grammaire d’un roman graphique à partir des messageries instantanées. Théo Bonnet propose une typographie restituant la sensation d’oralité. De son côté, Antoine Souvent génère des affiches via un navigateur Web.
Short message situations
Manon Houille
2019
À l’ère des messageries instantanées, telles que le SMS, notre manière de communiquer a radicalement évolué. En quoi cette nouvelle forme de correspondance conditionne-elle de nouvelles formes plastiques de l‘écriture ?
Avec le SMS, de l’écriture à l’image, il n’y a qu’un pas. En plus d’avoir créé de nouveaux langages comme les emojis, le SMS a produit de nouvelles situations de correspondance. Qui ne s’est jamais trompé de destinataire ou n’est jamais resté sans réponse ?
Short message situations, dont l’objet principal est un roman graphique, met en scène des situations auxquelles deux correspondants peuvent être confrontés en communiquant exclusivement par messagerie.
Le projet se veut ludique et accessible, chacun pouvant se reconnaître dans une situation vécue. Il tente d’interroger le public sur la manière dont chacun échange avec l’autre. Il s’agit aussi de donner une certaine forme de pérennité à un mode de correspondance immatériel et standardisé.
Dreams
Antoine Souvent
2020
Dreams est né de la fabrication d’un outil web-to-print. Le principe est de générer des affiches via un navigateur Web à partir d’un corpus d’images composé par l’utilisateur.
À chaque actualisation de la page Web, les images capturées créent un univers onirique. Des indicateurs de temps et de positionnement de la souris défilent au fur et à mesure de la navigation et se figent à l’impression.
Rhétoriké
Théo Bonnet
2020
Rhétoriké est un projet de création typographique visant à permettre la (re)transcription, à l’écrit, d’une sensation d’oralité.
La typographie dispose de deux axes de variation, la graisse et la chasse, renvoyant respectivement au volume et au rythme de la parole. L’ensemble est soutenu par le mémoire de diplôme Logos tekhné ou les technologies du langage qui explore, dans ses différentes formes, le rapport entre le support du langage et sa réception.
DESIGN DU TEMPS
Le temps serait-il l’impensé du design ? Quand le design interroge le temps, c’est au prisme de l’objet, de l’espace, de l’inscription, de la représentation, de l’interaction, de l’expérience, du service, etc. Mais il n’en fait pas “objet” de design en tant que tel. Une première question pourrait être de se demander pourquoi. Une piste pourrait être que le design présuppose une certaine conception du temps, comme une condition de possibilité du design lui-même.
Au-delà de cette question, qui touche aussi bien au régime d’historicité du design qu’à ses méthodologies, une autre se fait jour : pourquoi l’idée d’un design du temps n’apparaît-elle qu’aujourd’hui ? Qu’est-ce qui, dans le monde, a changé, nous obligeant d’une certaine manière à y penser ? Penser le temps, pour le design, répond aujourd’hui à la gestation d’une crise qui touche à la numérisation du monde.
Il s’agit d’abord de penser les temporalités des machines elles-mêmes. C’est pourquoi, en 2020, l’ÉSAD Orléans a mis en place un programme de recherche (Blockchain in Média) et un parcours en master (Archéologie des Média) centrés sur la question des temporalités machiniques, comme en témoigne Génésis Blockchain du collectif BIM, une œuvre en constante évolution, prenant ici une forme nouvelle.Prendre la mesure de ces temporalités machiniques pour le design graphique, l’édition ou le design d’objet est crucial pour l’avenir de ces pratiques. Les travaux sur la réalité augmentée de Lucie Bretonneau et Gabriel Martinez montrent que les dispositifs de réalité augmentée sont une façon de créer – et de visiter – des espaces avec du temps. Confrontant le temps de la matière à celui des appareils, le collectif καιρός propose, quant à lui, dans l’esprit d’une écologie de l’attention, un objet contemplatif en perpétuelle métamorphose qui nous “donne le temps” et nous encourage à ralentir.
Genesis blockchain
Collectif BIM
Blockchain in media 2020-21
Une chaîne de blocs (ou blockchain) est un réseau d’ordinateurs permettant d’archiver, de manière distribuée, des données chiffrées et horodatées.
La Genesis blockchain est un prototype de blockchain qui répond à deux questions:
Comment résoudre l’algorithme de chiffrement avec le moins d’énergie possible ? Comment utiliser la hauteur des marées pour influer sur le temps et la puissance de calcul ?
Les toboggans
Lucie Bretonneau
2020-21
Les toboggans visent à révéler un nouveau lien entre soi et l’écran. Comment questionner l’univers du jeu numérique en dehors des applications développées par le modèle dominant ?
Ici, l’utilisateur est invité à scanner les quatre images disposées au sol afin de découvrir un espace tout à la fois ludique et contemplatif en réalité augmentée. Cette expérience immersive propose de suivre le voyage de plusieurs balles à travers différents volumes.
Matrice
Gabriel Martinez
2020-21
Matrice prend comme point de départ une matrice originelle qui a généré une procédure graphique présentée au format Impression. La réalité augmentée permet de révéler une représentation dynamique d’un organisme en expansion autour duquel le spectateur peut déambuler, chercher et contempler sous différents angles et points de vue, les différentes strates qui le composent. Le format impression et la réalité augmentée doivent bénéficier du même degré d’attention pour en saisir l’unité.
καιρός
Collectif Kairos (Amélie Samson, Manon Souchet, Eva Vedel)
2020-21
L’époque moderne nous a rendu esclaves de l’heure, d’un temps mesuré, chiffré, calculé, fragmenté. Pourrait-on revenir à une perception plus souple d’un temps non-fractionné, grâce à un objet qui nous encouragerait à le vivre différemment en le représentant de manière diffuse ?
καιρός est un objet contemplatif en perpétuelle métamorphose qui nous “donne le temps” et nous encourage à ralentir.
Le temps y est matérialisé par un changement d’état lent et progressif. Peu à peu, l’eau présente dans la vasque s’évapore et s’infiltre dans la matière poreuse, révélant alors un paysage créé numériquement inspiré des formes naturelles (deltas, canyons…). La répétition des cycles d’évaporation et d’infiltration de l’eau crée des dépôts dans les anfractuosités et sur les surfaces, métamorphosant l’objet de façon singulière et non contrôlée sur le temps long.
DESIGN DES COMMUNS
Le design des communs est au service de ce dont tout le monde a l’usage, qu’il s’agisse d’entités naturelles (par ex. : un fleuve et ses écosystèmes, etc.), d’entités patrimoniales, immatérielles ou matérielles, ou encore des logiciels et des données informatiques. En se concentrant sur l’usage et les conditions de cet usage, il propose des modalités de cohabitation, de gouvernance et de circulation des objets et des espaces ainsi que des stratégies et tactiques de transitions.
Le projet DATA_vessel, initié par Olivier Bouton et Caroline Zahnd et développé au sein du programme de recherche Objects, Crafts and computation, vise à définir un design funéraire transformatif sur le plan symbolique, social et environnemental par ses modes de création, les usages et rituels qu’il inclut et les interactions qu’il établit avec son milieu. De son côté, Antoine Blouin cherche à traduire dans la matérialité de la céramique des données environnementales ouvertes.
Le programme de recherche et collectif LIGA est né du désir de relier le design et ses pratiques aux écologies (environnementales, socio-économiques, politiques). Il s’agit de mener, avec les outils du designer, une recherche sur et avec Loire, prenant appui sur la force et le potentiel de la fiction d’un “Parlement de Loire”, portée par le POLAU (Pôle arts.urbanisme).
DATA_vessel – Hyper-objet funéraire
Olivier Bouton & Caroline Zahnd et le Programme de recherche Objects, Crafts and computation 2020-21 (avec Sylvia Fredriksson, Emmanuel Hugnot, Luiz-Gustavo Machado de Carvalho, Maëlle Pires)
DATA_vessel part de l’hypothèse que les données peuvent être considérées comme un matériau dont le designer peut s’emparer pour créer des formes singulières. L’un de ses objectifs consiste à mesurer en quoi et comment les données personnelles peuvent donner forme aux objets relevant du champ du design. L’enjeu est d’établir des protocoles de réappropriation des données par l’intermédiaire de leur physicalisation.
L’objet est composé de trois éléments mis en forme par des procédés de fabrication numérique : un oya imprimé en céramique microporeuse, une urne cinéraire imprimée dans un matériau biosourcé et biodégradable et une pierre tombale formée par fraisage numérique. Sa forme unique est déterminée par des données propres au défunt.
Lors de la crémation, les cendres sont recueillies dans l’urne qui est alors associée à l’oya puis inhumée. La pierre tombale circulaire est assemblée sur le sol à la partie enterrée. Un arbre est planté. L’oya est rempli d’eau pour irriguer l’arbrisseau. L’urne, biodégradable, se dissout progressivement par l’action de l’humidité. Les cendres se mélangent à la terre et l’arbre déploie ses racines autour de l’oya dans l’humus inséminé des cendres. Le processus biologique se fait symbolique.
Les arbres endémiques plantés auprès des sépultures sont protégés par leur dimension commémorative. L’espace funéraire devient un espace du renouveau pour le vivant, des “micro-forêts” à la fois sanctuaires de la mémoire et de la biodiversité.
Partenaires: Polytech Orléans, spécialité Innovations en conception et matériaux (ICM), Pompes funèbres Caton
Scrolling CO2 – Data sculpture critique
Antoine Blouin
DNSEP 2020 et 1re année DSRD 2020-21
Scrolling CO2 est issu d’une recherche qui interroge l’écologie « environnementale » et l’écologie « attentionnelle » en mettant en regard les émissions de CO2 issues de l’utilisation des téléphones mobiles et le temps que nous consacrons à leur usage.
Le projet vise à donner une représentation physique et sensorielle à un phénomène non visible. Chaque module de porcelaine, inspiré de la forme de la molécule de carbone, pèse 137 grammes, soit le poids moyen de CO2 rejeté dans l’atmosphère toutes les 2 minutes et 40 secondes. Un Français passe en moyenne 600 minutes par semaine sur son portable.
Le dispositif se compose de modules qui se propagent dans l’espace par une logique combinatoire, organique ou organisée, invasive et multi-directionnelle. Il exprime la masse volumique de notre consommation de temps d’écran et son impact environnemental.
Cohabiter avec le fleuve – voyage d’étude de la source à l’estuaire
Collectif LIGA
Programme de recherche LIGA 2020-2021
Jussie, Saponaire Officinale
Les plantes se développent sans tenir compte des frontières créées par l’homme. La preuve avec la Jussie rampante, Ludwigia Peploides en latin. Originaire d’Amérique du sud, cette espèce à fleurs jaunes envahit les milieux aquatiques au point de s’accaparer les berges et d’étouffer la flore indigène. L’adaptabilité de cette intrusive n’est pas sans conséquences sur la biodiversité de Loire. À travers son travail photographique, Elodie Delcourt utilise la couleur comme un signal fort. Le grand format restitue la fascination qu’exerce la présence importante dans le paysage des nuances de jaune de la Jussie. Une seconde photographie identifie l’existence à moindre échelle de la Saponaire Officinale. Cette plante envahissante à fleurs roses, moins dangereuse, a réussi à s’adapter sans nuire aux autres plantes indigènes. Les autres tirages situent ces deux plantes dans leur aire de répartition, là où elles prospèrent.
Tablette à Dessin
La tablette à dessin est un outil conçu et fabriqué en amont du voyage pour arpenter les sites, réaliser une lecture des paysages à partir de relevés cartographiques. Le fond de carte IGN est un support à l’interprétation in situ, par les croquis et les notes qui révèlent des dynamiques et des mouvements de Loire. La production de cet exemplaire, réalisée au retour, tient compte de l’expérience d’usage pendant la semaine d’immersion du collectif.
Avec le soutien de la Mission Val de Loire dans le cadre du programme “Campus avoir 20 ans dans le Val de Loire”, en partenariat avec le POLAU et la Zone Atelier Loire-CNRS